Texte & Photos de Virginie de Borchgrave & Michel Mabille

img_82274Dès l’entrée, le ton est donné avec les coussins en argent, aériens, tels des nuages lumineux, dans le ciel de cette demeure unique. Pour poursuivre, nous devons passer à travers des rideaux de colliers colorés qui créent, entre les différents espaces, une division ludique aussi décorative que fonctionnelle. Entretemps, on a foulé aux pieds -pourvu que l’on ne porte pas de talons aiguille- une sculpture plate en métal. De l’autre côté des rangées de colliers suspendus, dans la pièce de gauche, je découvre un aquarium insolite où flotte littéralement un rocher et où de surprenantes petites créatures en forme de mini raies répondant au nom de limules (d’après les explications d’un charmant vieux monsieur qui avait l’air d’en savoir un bout sur le sujet…), ensuite attirée irrémédiablement vers la terrasse, c’est le choc des vitraux de la villa revus et colorés qui se reflètent dans le miroir d’eau de la piscine, etc. Je pourrais continuer ainsi le récit de ma visite de cette magistrale exposition dont le titre mérite une explication.

Que veulent donc nous dire Andy Warhol, Felix Gonzalez-Torres, Carl Andre, Pierre Huyghe, Daniel Buren, Jeff Koons et sa jolie fleur, la Mexicaine Milena Muzquiz et son vase en céramique, le Cubain Jorge Pardo dont le mobilier (magnifiques lampes en céramiques entre objet et sculpture, chaises longues tressées en cordes de vinyle) bouscule la frontière entre l’esthétique et l’usuel, le Français Philippe Parreno qui, avec son assemblage sculptural d’adaptateurs joue sur la limite entre fiction et réalité et enfin, la doyenne des artistes iraniennes Monir Shahroudy Farmanfarmaian avec son miroir fait de mosaïques géométriques, etc. ?

img_37943Ils cherchent à nous interroger sur le rapport entre l’aspect décoratif d’une œuvre et son existence en tant que telle, un courant issu de la modernité occidentale qui sépara radicalement art et décoration : « Alors qu’un élément décoratif attire le regard pour le relâcher dans son environnement direct l’instant d’après, l’œuvre d’art attire le regard comme un aimant et le captive. »

Bravo à Tino Sehgal, Dorothea von Hantelamnn et Asad Raza pour cette analyse de l’aspect décoratif dans l’art moderne à travers le choix d’œuvres pertinentes dans ce haut-lieu de l’art déco.

 Le communiqué de la Fondation:

Dans les sociétés occidentales, avant l’ère moderne, l’art remplissait une fonction différente : il décorait l’architecture et les espaces, catalysant les interactions sociales entre les gens. Avec l’arrivée de la modernité vers 1800, l’idée d’une œuvre d’art décorative devint contradictoire. La peinture, séparée de l’architecture, devint autonome, abandonnant sa fonction décorative première. D’un point de vue historique, ce fut la fin de l’objet décoratif et esthétiquement intégré et le début de l’idée moderne de l’œuvre d’art. A partir de ce moment, comme Hegel le note dans L’Esthétique, la fonction de l’œuvre d’art n’est plus uniquement de remplir des surfaces sur un mur, elle a une existence propre.  De partie intégrante d’un lieu, l’œuvre d’art fut élevée à la position d’objet signifiant en soi, s’octroyant dès lors une position de protagoniste, visant à occuper la place d’échange social qu’elle s’était jusqu’alors contentée de faciliter. La Modernité, en ce sens, n’est pas uniquement représentée par un ensemble de nouveaux styles artistiques, de formes et de contenus. Elle signifie quelque chose d’encore plus fondamental, un changement dans la façon dont les objets esthétiques fonctionnent et communiquent entre eux : alors qu’un élément décoratif attire le regard pour le relâcher dans son environnement direct l’instant d’après, l’œuvre d’art attire le regard comme un aimant et le captive.

Le musée était et demeure encore la force principale derrière ce phénomène, l’endroit où se retrouve l’idée de l’objet comme entité signifiante et de valeur, par rapport auquel l’individu se reconnaît et se réfléchit. Le musée est cette machine qui non-seulement tire l’objet loin de sa praxis initiale, mais qui crée également un rituel autour de lui, pour l’élever à la première position.

Les artistes rassemblés dans le cadre de Decor partagent l’ambition de reconfigurer catégoriquement ce mode spécifiquefullsizerender2 de fonctionnement de l’art. Ils ne partagent pas l’anxiété occidentale moderne qui craint la capacité décorative des produits artistiques et qui au contraire souhaite affranchir l’art du décoratif. Ces artistes considèrent l’aspect décoratif comme fondamental aux arts plastiques et voient un potentiel politique dans le fait d’opérer de concert avec lui.  Cette approche ouvre également un dialogue nouveau avec la tradition décorative et ornementale ancrée dans l’esthétique orientale. ‘Le décoratif’ ne doit toutefois pas dans ce contexte être pris pour un simple ornement ni, dans sa connotation négative, comme superficiellement agréable. Le décoratif s’entend ici comme dispositif censé réaliser un mode différent de l’opération artistique, d’affaiblir la prétendue autonomie de l’œuvre d’art, afin de restaurer aux objets leurs capacités intersubjectives et sociales. En tant que décor, les objets ne peuvent tout simplement pas exister de manière autonome, puisque par définition ils n’existent qu’en rapport à leur contexte spatial. Un décor ne peut être le centre de toute attention et production de sens puisqu’il est constitutivement au service de sa fonction. Dans le contexte de la Villa Empain – elle-même un lieu hautement marqué par le décoratif – cette exposition s’entretiendra à la fois du décoratif dans l’art moderne et contemporain et servira, simplement, de décor de la Villa.

 

Artistes:

Carl Andre, Marcel Broodthaers, Daniel Buren, Latifa Echakhch, Monir Shahroudy Farmanfarmaian,  Dominique Gonzalez-Foerster, Felix Gonzalez-Torres, Pierre Huyghe, Waqas Khan, Jeff Koons, Milena Muzquiz, Jorge Pardo, Philippe Parreno, Jeroen de Rijke/Willem de Rooij, Rosemarie Trockel et Andy Warhol.

Jusqu’au 29 janvier 2017

Fondation Boghossian – Villa Empain

Centre d’art et de dialogue entre les cultures d’Orient et d’Occident

67, Avenue Franklin Roosevelt

B-1050 Bruxelles

Tél. : +32 2 627 52 30

8€

info@boghossianfoundation.be

www.boghossianfoundation.be